Certificats médicaux : les médecins qui ne respectent pas les règles peuvent être sanctionnés à l’initiative de l’employeur (Conseil d’Etat, 6 juin 2018, n° 40543)
Publié le :
05/09/2018
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Depuis plusieurs années, la production devant les conseils de prud’hommes de certificats médicaux mentionnant un lien entre l’état de santé du salarié et ses conditions de travail s’est multipliée.
Cette production intervient notamment dans le cadre de contentieux portant sur la demande de reconnaissance d’un harcèlement moral ou encore sur la demande de reconnaissance d’un lien entre une inaptitude et la sphère professionnelle.
Or, dans la plupart des cas, le médecin prescripteur n’a aucune connaissance personnelle des conditions de travail du salarié dans l’entreprise mais se réfère exclusivement aux dires de son patient ; pourtant le certificat émis ne mentionne souvent pas de réserves.
Face à la multiplication de ces certificats, les employeurs ont dû réagir.
Utilement conseillés, certains ont décidé de porter plainte à l’encontre de ces médecins devant le Conseil de l’Ordre.
En effet, l’article R 4.127-28 du Code de la santé publique pose en principe l’interdiction des rapports tendancieux ou certificats de complaisance.
L'article 28 du Code de déontologie des médecins énonce de son côté que « le rôle du médecin est en effet d’établir des constatations médicales, non de recueillir des attestations ou des témoignages et moins encore de les reprendre à son compte »
Enfin, les articles R 4127-76 du Code de la santé publique et 76 du Code déontologique médical précisent que les certificats médicaux ne doivent reposer que sur les constatations médicales que le médecin est en mesure de faire et que « s’il rapporte des indications fournies par le patient ou l’entourage, le médecin doit le faire avec la plus grande circonspection et employer le mode conditionnel ou il écrit : « X me dit que… »
Ainsi, s’il appartient au médecin de diagnostiquer l'état de santé de son patient, il ne saurait prétendre en établir les causes.
Dès lors la règle est simple : un médecin ne peut mentionner dans un certificat que des constatations d’ordre médical qu’il a effectuées personnellement. Il ne peut reprendre à l’indicatif les dires de son patient sans commettre une faute déontologique.
Telle était la thèse soutenue par les employeurs.
Dans son arrêt rendu le 6 juin 2018, le Conseil d’Etat consacre ce raisonnement.
Dans l’affaire que le Conseil d’état a été amené à juger, un médecin du travail en fonction au sein d’EDF avait remis au salarié un certificat médical mentionnant « un enchaînement de pratiques maltraitantes » de la part de son employeur à son encontre.
Ce certificat avait été produit devant le conseil de prud’hommes par le salarié.
L’employeur a porté plainte à l’encontre de ce médecin devant le Conseil régional de l’Ordre des médecins.
Pour se défendre, le médecin soutenait qu’un certificat établi par un médecin du travail prenant parti sur un lien entre l’état de santé de ce salarié et ses conditions de vie et de travail dans l’entreprise ne méconnaissait pas les obligations déontologiques des articles R.4127-28 et R4127-76 du Code de la santé publique.
Les instances disciplinaires de l’Ordre des médecins ont rejeté l’argumentaire développé par le médecin et l’ont sanctionné d’un blâme.
Saisi par le médecin d’un pourvoi, Le Conseil d’Etat confirme la sanction infligée.
Il énonce qu’un certificat établi par un médecin du travail prenant parti sur un lien entre l’état de santé et ses conditions de vie et de travail dans l’entreprise, n’est pas par lui-même de nature à méconnaître les obligations déontologiques du médecin ; toutefois, le médecin ne saurait établir un tel certificat qu’en considération de constats personnellement opérés par lui, tant sur la personne du salarié que sur son milieu de travail.
Le cabinet TEN FRANCE a été l’un des cabinets précurseurs de ce contentieux.
Il continue encore aujourd’hui à contester les certificats médicaux qu’il rencontre dans le cadre de litige prud’homaux, lorsque cela est nécessaire et utile à la défense des intérêts des employeurs.
Face à la multiplication de ce contentieux, les instances ordinales ont dès l’origine adopté une position ferme puis constante en sanctionnant systématiquement les médecins ayant réalisé de tels certificats.
Ainsi, dès 2007, elles considéraient que les promesses faites par le médecin du travail d’attribution de certificats médicaux à un salarié « si ce dernier n’arrive pas à tenir le coup » sans étude plus approfondie des conditions de travail ou de délivrance d’un duplicata de certificat de grossesse à une salariée dont il n’avait pas eu connaissance de l’original, et qu’il n’avait même pas examinée, afin de lui éviter un éventuel licenciement, s’analysent en des certificats de complaisance (Ordre des médecins, ch. disc. nationale, 5 février 2007, n° 9509 ; Ordre des médecins, ch. disc. nationale, 11 juillet 2011, n° 10757)
Certains médecins ont estimé qu’il s’agissait d’une remise en cause de leur autorité par leur Ordre sous l’impulsion de l’employeur.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer pour la première fois en 2016.
Par un arrêt rendu le 10 février 2016 (n°384299), le Conseil d’Etat confirme les arrêts rendus par les chambres disciplinaires de l’Ordre des médecins et affirme ainsi que l’avis médical rendu par le médecin du travail ne saurait être établi sur les seuls dires du salarié mais en constatant la réalité de ceux-ci.
Face à cet échec, les médecins ont cherché un nouvel angle d’attaque en essayant de remettre en cause l’intérêt à agir de l’employeur.
Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur ce point le 11 octobre 2017 (n°403576) en confirmant la possibilité pour un employeur d’être à l’origine d’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un médecin.
En effet, l’article R.4126-1 du Code de la santé publique confère à toute personne, lésée de manière suffisamment directe et certaine par le manquement d’un médecin à ses obligations déontologiques, la faculté d’introduire, par une plainte portée devant le Conseil départemental de l’Ordre des médecins, une action disciplinaire à l’encontre de ce médecin.
Or, si le salarié ne tire pas avantage de la production aux débats des certificats médicaux dans le litige l’opposant à son employeur devant le conseil des prud’hommes, pourquoi les produit-il devant cette juridiction ?
L’intérêt à agir de l’employeur, qui voit apparaître les certificats litigieux dans le dossier de son adversaire au Conseil de Prud’hommes, est donc évident !
Le Conseil d’Etat indique également qu'un médecin mis en cause par la plainte d’un employeur n’est nullement tenu, pour assurer sa défense, de méconnaître le secret médical ou même de renoncer à se défendre afin de préserver le secret médical.
Enfin, le Conseil d’Etat rappelle que les médecins du travail sont tenus au respect des obligations déontologiques s’imposant à leur profession, et notamment au respect de l’interdiction de délivrer des certificats de complaisance. Il précise toutefois que le juge disciplinaire devra tenir compte des spécificités des conditions d’exercice du médecin du travail qui, de par ses fonctions, a accès à un grand nombre d’informations sur le fonctionnement de l’entreprise et les conditions de travail des salariés.
Mais cela n’est pas pour autant un blanc-seing donné aux médecins du travail, dont les certificats ne peuvent, pas plus que les autres, contenir autre chose que ce qu’ils ont personnellement constaté (indépendamment de ce qu’ils préconisent par ailleurs, car cela n’est alors qu’une conséquence de leurs constatations premières).
Par l’ensemble de sa jurisprudence, Le Conseil d’Etat établit que :
- L’employeur peut être à l’initiative d’une poursuite disciplinaire à l’encontre d’un médecin généraliste ou d’un médecin du travail,
- Le médecin peut se défendre sans qu’il ne viole le secret médical,
- Les certificats / attestations établis par ces médecins doivent relater des faits qu’ils ont personnellement constatés,
- Une réelle étude des conditions de travail du salarié doit être effectuée par le médecin s’il souhaite se prononcer sur ces conditions.
L’utilisation de certificats médicaux dans les litiges prud’homaux démontre leur importance dans le dossier présenté par le salarié.
Il appartient à chaque employeur d’y porter une attention particulière, même en l’absence de contentieux, et à en faire part à son conseil habituel.
Marion Gay, avocat
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