La responsabilité de l’Etat dans les dégradations commises lors des manifestations des gilets jaunes
Auteurs : Adrien Levrey, Avocat Cabinet Ten France
Publié le :
07/09/2022
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En cas de dégradation de bâtiments et équipements publics liée à des manifestations, les collectivités locales peuvent obtenir réparation des préjudices subis auprès de l’État, à condition de fournir suffisamment d’éléments de preuve. Comment démontrer le lien de causalité ? Comment anticiper ces preuves ? Deux décisions récentes du juge administratif viennent apporter des éléments de réponse.
Collectivités territoriales, soyez vigilantes lors de manifestations pouvant occasionner des dégradations de bâtiments publics et d’équipements urbains ! Il ressort de jugements récents des Tribunaux administratifs de Toulouse et Paris, relatifs aux manifestations de gilets jaunes de 2018 et 2019, que les collectivités territoriales qui souhaiteraient mettre en cause la responsabilité de l’Etat sont tenues d’apporter suffisamment de preuves afin d’établir le lien de causalité entre ces dommages et la manifestation en cause, faute de quoi elles ne sauraient être indemnisées.Un régime de responsabilité favorable aux collectivités territoriales
L’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure permet d’engager la responsabilité de l’Etat lorsque des dommages résultant de crimes ou de délits ont été commis avec violences ou force ouverte, à l’occasion d’un attroupement ou d’un rassemblement. Les collectivités territoriales utilisent alors ce régime pour obtenir l’indemnisation des dégradations commises en marge des manifestations. Elles n’ont alors ni faute de l’Etat, ni aucun préjudice anormal ou spécial à prouver. Les communes de Toulouse et Paris, qui ont été fortement touchées par les détériorations matérielles de leur mobilier urbain (horodateurs, panneaux, plantes, caméras de surveillance, kiosques, décorations, etc…) lors des manifestations hebdomadaires des gilets jaunes, ont demandé, sur ce fondement, la condamnation de l’Etat à les indemniser du coût de réparation ou de remplacement de ces biens.La caractérisation de délits dans la dégradation de ces biens publics n’a pas posé de difficulté devant les Tribunaux administratifs de Toulouse et Paris, tout comme la preuve de l’utilisation de la violence dans ces actes de vandalisme. En défense, l’Etat, par le biais de son Préfet, estimait que ces dégradations n’étaient pas liées directement aux manifestants, mais à des groupes isolés qui avaient prémédité et organisé leurs actes. Toutefois, il est désormais admis que le caractère prémédité des dégradations n’exclut pas l’application de ce régime de responsabilité, dès lors que les auteurs étaient bien issus de la manifestation et partageaient les revendications des manifestants. Le Tribunal administratif de Toulouse a repris ce raisonnement en retenant qu’il n’existait pas, en l’espèce, de groupuscules qui étaient présents uniquement pour commettre ces délits de dégradations, mais que les auteurs de ces actes étaient bien issus de la manifestation organisée.
La démonstration du lien de causalité entre les dégradations et la manifestation : une condition déterminante
En réalité, le point central de la mise en œuvre de ce régime de responsabilité tient à la démonstration du lien de causalité entre la dégradation d’un bien et la manifestation. Le juge administratif se livre alors à une appréciation au cas par cas, dommage par dommage, afin de s’assurer de l’existence du caractère direct du préjudice subi.Le Tribunal administratif de Toulouse a ainsi pu reconnaître l’existence de ce lien pour la dégradation d’horodateurs notamment, en s’appuyant sur des comptes-rendus d’infractions établis par la commune de Toulouse, joints aux plaintes pénales déposées à l’issue de chaque journée de mobilisation des manifestants, mais aussi en prenant en compte les inscriptions apposées sur les horodateurs, en rapport avec les revendications des manifestants. Le juge a retenu également le lien entre la dégradation de décorations de Noël et la manifestation organisée, en s’appuyant sur des clichés photographiques des dégradations et en analysant l’emplacement de ces décorations en fonction du parcours emprunté par les manifestants à proximité. En revanche, la production d’un simple devis pour la réparation du portail d’un jardin public détérioré à cette période ne permet pas d’établir ce lien, sans autre élément de contexte.
Enfin, le juge administratif poursuit son appréciation in concreto des différents dommages invoqués pour chaque bien, afin de contrôler que la collectivité ne tente pas d’imputer aux manifestants des dégradations antérieures.
La nécessité de préparation des preuves des dégradations par anticipation
La mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat du fait des désordres provoqués par des attroupements représente un enjeu financier considérable au regard des sommes importantes que peuvent espérer les collectivités territoriales victimes en réparation des dégradations commises. Ainsi, le Tribunal administratif de Toulouse a prononcé l’indemnisation de la commune de Toulouse à hauteur de 559 794 euros et le Tribunal administratif de Paris a retenu une somme totale de 1 414 586,60 euros.Il convient donc que les collectivités territoriales qui subissent des actes de dégradation de leurs équipements urbains soient vigilantes au moment de la commission des faits, afin de constituer le jour même un dossier de preuves à produire dans leur future demande d’indemnisation ou dans le cadre d’un contentieux à venir. Elles seront alors fortement incitées à répertorier chaque acte de dégradation, à prendre des photos, à déposer plainte systématiquement ou encore à rassembler des témoignages détaillant le contexte de ces dégradations. Elles peuvent, également, avoir recours à des constats d’huissiers de justice. La mise en œuvre de ce régime de responsabilité spécifique n’en sera alors que plus aisée.
Ainsi, toute collectivité territoriale qui serait victime de détériorations de son mobilier urbain ou de ses bâtiments publics, dans le cadre d’une manifestation, pourra rechercher à obtenir une réparation des préjudices subis auprès de l’Etat, à condition de fournir suffisamment d’éléments au juge administratif qui appréciera au cas par cas leur caractère direct et certain.
Des interrogations sur les régimes de responsabilité applicables pour les collectivités territoriales ? Le Cabinet TEN France se tient à votre disposition pour vous assister. N’hésitez pas à nous contacter pour tout accompagnement juridique sur ces points.
Adrien Levrey, Avocat Cabinet Ten France
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