Collectivités territoriales : attention à la mise en œuvre tardive de la réforme sur le temps de travail !
Auteurs : Adrien Levrey, Avocat Cabinet Ten France
Publié le :
13/04/2022
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La loi rappelle aux collectivités locales qu’elles doivent respecter une durée de travail des agents publics de 1 607 heures par an, à compter du 1er janvier 2022. De nombreuses collectivités continuent pourtant d’appliquer des régimes particuliers, s’exposant ainsi à d’importants risques juridiques.
Cycles de travail occasionnant une durée de travail inférieure à la durée légale, « journée du maire » ou jour d’ancienneté non-prévus par la réglementation, le régime du temps de travail dans la fonction publique est un sujet complexe depuis plusieurs années, du fait des dérogations nombreuses et variées propres à chaque collectivité territoriale, remettant en cause le principe, pourtant bien établi par les textes, des 1 607 heures de travail annuelles des agents publics.
La loi du 6 août 2019 vise à rappeler cette exigence et à uniformiser le temps de travail en mettant un terme aux régimes particuliers, avec une entrée en vigueur au plus tard au 1er janvier 2022. Pour autant, plusieurs collectivités tardent à appliquer ce nouveau régime, entraînant une mise en demeure de s’y conformer par le juge administratif.
L’harmonisation de la règle : 1 607 heures par an
La loi du 6 août 2019 impose aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics de supprimer toute exception au régime des 1607 heures de travail annuel des agents publics. Désormais, la règle doit être la même dans l’ensemble des collectivités, à savoir :
- 1 607 heures ;
- correspondant à sept heures de travail par jour ;
- pour 228 jours travaillés dans l’année (déduction des week-ends, jours fériés et des congés payés), auxquels est ajoutée la journée de solidarité.
Les cycles de travail devront respecter ce nombre d’heures. La seule dérogation possible est limitée à la nature des fonctions de l’agent et à la définition des cycles de travail qui en résultent (travail de nuit, le week-end, travail par modulation, travaux pénibles ou dangereux).
Les collectivités territoriales doivent, pour cela, par délibération de leur assemblée délibérante et après avis du Comité technique, adopter un règlement sur le temps de travail, motivant précisément les raisons de ces éventuelles dérogations.
Le refus d’appliquer la réforme, censuré par le juge administratif
La loi de 2019 a fixé la date limite de mise en conformité des cycles de travail des collectivités avec le nouveau régime au 1er janvier 2022, leur laissant ainsi plusieurs mois pour mener cette nouvelle organisation et la faire valider auprès du préfet, dans le cadre du contrôle de légalité.
Toutefois, malgré plusieurs relances des préfectures en ce sens, il a été constaté que de nombreuses communes avaient pris du retard dans l’application de ce nouveau régime sur le temps de travail, voire avaient refusé délibérément de l’adopter.
Ainsi, par le biais d’un déféré, plusieurs préfets ont saisi le juge administratif afin d’enjoindre les maires et présidents récalcitrants à mettre en œuvre cette réforme au sein de leur collectivité.
Quand le refus est manifeste. C’est notamment le cas du Tribunal administratif de Montreuil, qui a rendu une série d’ordonnance à l’encontre de plusieurs communes de Seine-Saint-Denis, incapables de justifier d’une délibération prévoyant de nouveaux cycles de travail conformes aux 1607 heures. Le juge administratif relève alors que ces communes ont manifestement refusé de prendre en considération le nouveau régime applicable, malgré des relances de la Préfecture sur ce sujet. Il a, par ailleurs, refusé de prendre en compte le moyen invoqué par ces communes, selon lequel le délai de mise en œuvre de la réforme était trop court. Le juge administratif les a, en conséquence, enjoint à adopter une délibération provisoire régulière sur le temps de travail de leurs agents, dans un délai de quatre mois.
La distinction entre refus délibéré et simple retard d’application. Une nouvelle série d’ordonnances a également été prise par le Tribunal administratif de Melun, reprenant la position du Tribunal administratif de Montreuil, en apportant une précision supplémentaire. En effet, dans le cadre de ces contentieux, le juge administratif a distingué d’une part, les collectivités qui avaient simplement du retard dans l‘adoption du nouveau règlement sur le temps de travail, mais qui avait commencé le processus de mise en conformité et, d’autre part, les collectivités qui refusaient délibérément la nouvelle réforme pour leurs agents. Ainsi, pour les premières, le juge administratif reconnaît leur bonne foi et les conforte dans leur processus d’adaptation malgré le retard. En revanche, pour les secondes, il les enjoint de prendre dans un délai de quatre mois, une délibération provisoire afin de se placer dans une situation juridique régulière.
L’exemple particulier de Paris. Il convient enfin de mentionner le cas de la ville de Paris, qui avait adopté un nouveau règlement sur le temps de travail de ses agents, par délibération de juillet 2021, mais qui prévoyait notamment l’application progressive et échelonnée de ce nouveau régime durant le semestre 2022 et qui prévoyait également des régimes dérogatoires, propres aux considérations liées au statut de « ville-capitale », à son environnement et à ses contraintes particulières. Le Tribunal administratif de Paris a, toutefois, suspendu cette délibération, ce qui a été confirmé par la Cour administrative d’appel de Paris. La Cour écarte le moyen tiré du principe de sécurité juridique, qui ferait obstacle, selon la ville, à la mise en œuvre complexe de cette réforme sur le temps de travail au 1er janvier 2022. Par ailleurs, elle écarte la dérogation créée par la ville de Paris et propre à son statut de capitale, en rappelant que les dérogations prévues par le décret du 12 juillets 2001 sont limitativement énumérées, les collectivités ne pouvant pas en créer de nouvelles. Le juge administratif rappelle alors ici que Paris est une collectivité territoriale comme les autres en matière de temps de travail de ses agents.
Les conséquences juridiques du refus de mise en œuvre de la réforme
Si les collectivités qui ont, à minima, entamé leur processus d’adoption du nouveau régime sur le temps de travail, bénéficient d’une tolérance du juge administratif, les collectivités qui refusent d’intégrer ce nouveau régime s’exposent à des conséquences juridiques réelles. En effet, elles se placent en situation d’illégalité fautive, susceptible d’entrainer des conséquences en matière de responsabilité administrative. Plus largement, sur le fondement du Code des relations entre le public et l’administration, il est possible pour toute personne de demander le retrait d’une disposition réglementaire illégale, ce qui est le cas du régime sur le temps de travail actuel de ces collectivités.
Ainsi, dans un souci d’harmonisation et de cohérence au sein de la fonction publique, le juge administratif insiste pour que l’ensemble des collectivités adoptent cette nouvelle réforme sur le temps de travail. Le Conseil d’Etat pourrait d’ailleurs être amené prochainement à reprendre le raisonnement de ces juridictions de première et seconde instance, afin d’assurer l’effectivité de ce nouveau régime, sous réserve de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a justement été récemment transmise, sur le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales concernant ces dispositions sur le temps de travail.
Des interrogations sur le régime du temps de travail dans la fonction publique ? Le Cabinet TEN France se tient à votre disposition pour vous assister. N’hésitez pas à nous contacter pour tout accompagnement juridique sur ces points.
Adrien Levrey, Avocat Cabinet Ten France
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